"Othello" : quand Orson Welles rencontre Shakespeare
 
Après des chefs-d’œuvre à n’en plus compter, les adaptations de Shakespeare s'enchaînent. Et parmi elles, le talent d’Orson Welles se distingue des autres, notamment à travers son film de 1952 : "Othello".
Hamlet, Roméo ou encore Macbeth. De célèbres personnages imaginés par la figure incontournable du théâtre anglophone : William Shakespeare. Et parmi les nombreux succès du dramaturge, on retrouve "Othello". Aussi appelée Le Maure de Venise, cette tragédie résume la vengeance d’un homme pour en détruire un autre. Iago, qui convoitait la place de second d’Othello, un des rares personnages noirs au théâtre, élabore des plans pour détruire le mariage du Maure (donc non catholique) avec Desdemona. Entre jalousie et suspicion d’infidélité, le récit entraîne de nombreux décès. 
Après la première représentation théâtrale en 1604, les mises en scène sont fréquentes. Et à l’arrivée du 7e art, la pièce devient une source d’inspiration pour les réalisateurs. Georges Cukor, Franco Zeffirelli ou Tim Blake Nelson ont tous repris ce chef-d'œuvre. Et pourtant, c’est le film d’Orson Welles qui marque le plus les esprits. Sorti en 1952, c’est sûrement l’une des plus brillantes adaptations d’une pièce de Shakespeare jamais réalisée.

Un récit déconstruit
Par un choix surprenant, Orson Welles réussit à défaire le récit, en maintenant tout de même une parfaite compréhension du spectateur. Le film débute par la fin de la pièce : l’enterrement d’Othello et de Desdemona sur l’île de Chypre. Les gros plans sur le personnage principal nous font comprendre l’importance du moment. Pour contraster la scène, le réalisateur met en avant de multiples plans de silhouettes. Résultat gagnant : malgré la fin du récit dévoilé, le mystère reste complet. 
Directement plongé dans l’univers sombre par la colorimétrie en noir et blanc, la scène d’ouverture rappelle instinctivement d’autres œuvres du réalisateur. L’ambiance ténébreuse, que l’on retrouve aussi dans son adaptation de Macbeth, est très appuyée par la musique. Menée par Angelo Francesco Lavagnino, les perpétuelles notes graves au piano effraient, et imposent un climat d’hostilité. Ce phénomène est intelligemment accentué par les effets de contre-plongée et d’amorce des plans, qui donnent aux personnages une impression de grandeur. Grâce à un montage vif, Orson Welles apporte un dynamisme à une pièce mondialement connue.  

Un personnage noir au cœur du contraste
“Shakespeare est grand. Orson Welles est son prophète” déclare un journaliste de Télérama. Comme dans l'œuvre du Barde, le réalisateur suit l’originalité de la pièce : un personnage noir, au milieu d’une société raciste de Venise. L’information qui semble être au centre du récit est pourtant astucieusement placée comme une normalité. Un choix important qui choque d’autant plus en remarquant la situation inédite d’un personnage noir dans le rôle du chef militaire de Venise. Mais si Orson Welles suit l’idée du dramaturge, il impose son originalité en ramenant la pièce à une confrontation entre deux hommes : Othello et Iago. Même si on retrouve les principales thématiques de la tragédie (l’amour absolu dont la pureté mène à la mort et un dilemme entre passion et raison), Welles mène au centre du film la haine de l’étranger entre les personnages principaux, en diminuant l’importance des seconds rôles. Même le discours de Desdemona est raccourci.
Avec son intention de mettre une rivalité au cœur du film, Welles décide d’incarner lui-même Othello. Un moyen efficace et personnel pour apporter de la puissance au personnage principal. Toute cette autorité est intensifiée par le maquillage des acteurs. On remarque un contraste entre la couleur de peau sombre d’Othello et les visages éclairés d’un blanc immaculé des autres personnages. Cet aspect apporte un clair-obscur qui impose le respect au protagoniste.
Seulement aujourd’hui, les avis sont radicaux concernant les acteurs blancs qui foncent leur peau par le maquillage. Cette pratique a un nom : le blackface. C’est en 2015 seulement, lors de la production d’Otello de Verdi à l’Opéra de New York, que le personnage éponyme n’apparaît pas grimé en noir sur scène. Une première dans l’histoire de cette pièce. Cette initiative marque le début d’une réflexion polémique : le souci du réalisme doit-il céder face aux objections ? Si ce n’est pas le cas à l’époque d’Orson Welles, il est préférable de saluer le génie de son long-métrage, en rappelant, soulignant et insistant que l'œuvre remonte à un autre siècle.

Laura Sonilhac
Le 18/03/2021
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